ENTRETIEN

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INTERVIEW de Aomar Lekloum mené par
Inoughi Nordine (Journaliste).IMG_1300

 IN : Aomar, je te connais depuis de longues années, à ton actif plusieurs documentaires et portraits dont ceux consacrés à des écrivains Rachid Boudjedra et Mohamed Dib, et je te découvre dans un autre registre celui de la peinture… Comment est né ton engouement pour l’art pictural ?

Tout simplement comme ça, un beau matin, une envie lancinante de peindre ; la peinture m’a explosé au visage. Une soupape. Une autre respiration comme un autre souffle. Je pense que cela est venu à la suite de nombreuses déceptions, de quelques échecs. Un parcours en dents de scie, des promesses de réalisations brisées par un départ obligé, à cause des évènements dramatiques, vécus il y a quelques années au pays, les attentats terroristes. L’arrivée à Paris sans rien, l’accueil solidaire. De nouvelles promesses, puis d’autres obstacles, malgré le soutien de nouveaux amis. C’est trop long à raconter. Je te renvoie à un article intitulé : «  Censure à l’orientale et censure à l’occidentale » que j’ai écrit dans Horizon une revue de l’ECF (n° 33 de nov. 2003). Cependant je peux juste ajouter qu’après l’écriture de plusieurs scénarios sur des sujets comme (la scène de l’exil, scènes à quatre voix, le théâtre et la peinture etc..), des démarches auprès de producteurs démissionnaires, fatigants et éprouvants, l’obligation d’effectuer d’autres boulots pour vivre, mon profond désir d’expression, certes ébranlé, n’a jamais été cassé…. Ce désir a été reconnu et soutenu par une personne de grande qualité. Une rencontre rare, essentielle dans ma vie d’ici. La peinture est née avec elle.

 IN : Pourquoi ce mode d’expression plutôt que le cinéma ? Est parce que peindre libère davantage que l’écriture et la réalisation  audiovisuelle ?

 En fait, je n’ai réalisé que des documentaires, une vingtaine à peu près, (certains furent censurés), mais j’ai participé à l’écriture de court et long métrage de fiction. Le besoin de l’autre. Faire un film, tu n’es pas seul. Il y a une équipe. Du lien social. Des amitiés qui naissent. Un échange constant. Une histoire, celle de la production, du tournage, celle du sujet, sa narration, sa dramaturgie. Il y a toutes les scènes de la réalité que l’on tente de capter par des plans et ce réel qui les travaille. Sa reconstruction au montage et son langage. Bien sûr qu’il y a une liberté, somme toute relative, cerner un espace, un temps, une durée, des idées. Mais il y a plein de choses qui échappent à ceux qui font autant qu’aux censeurs. Mais ce qui m’a toujours intéressé, c’est l’image, la façon de cadrer, l’esthétique, l’atmosphère, les ombres, ce que l’on voit et ce qui s’y cache, des choses comme ça. Il y a beaucoup de cela dans la peinture, mais tu es seul devant la toile blanche, en quelque sorte devant un vide. Comme devant une feuille blanche pour l’écrivain.

Bien sûr qu’il y a une liberté, celle du choix de ses couleurs, celle de l’attente, devant le blanc, que quelque chose surgisse, même d’une façon morcelée, qui se pose et se compose, prenne forme, souvent des formes inattendues. Parfois difficile à soutenir. Le choix c’est de biffer, gratter, effacer, recommencer, pour se libérer de ses fantômes. Atteindre un espace de calme. 

 IN : J’ai eu l’occasion de voir tes expositions, peux tu me parler de tes œuvres ?

 Difficile pour moi, c’est aux autres d’en dire quelque chose. Moi, je peins, c’est tout. Et j’expose quand je peux au regard de l’autre, à l’amateur, au connaisseur, à qui cette peinture s’adresse, et qui peut en tirer du sens, du plaisir ou rien du tout.

 IN : Mais quand on regarde tes peintures, il y a qui sont figuratives et d’autres abstraites ?

 Je ne sais pas, peut être…Je disais que ce n’est pas le motif qui m’intéresse. C’est plutôt, chercher au-delà. Je dessine quelquefois à grands traits un paysage que je remplis de couleurs. Elles viennent dans la recherche des mélanges, elles se transforment et modifient la figure première pour en faire apparaître une autre. D’autres fois je mets juste un fond de couleur. Et la figure se dessine toute seule derrière des lavis ou des taches. Un peu comme l’écriture automatique chez les dadaïstes. Mais ma peinture n’est pas dans le surréalisme. Je ne crois pas. Elle oscille peut être en le figuratif et l’abstrait. Entre deux bords. Je crois que même une toile abstraite figure une forme cachée qu’on ne voit pas. C’est la sensation qu’on voit, l’émotion qu’elle traduit, la possibilité de sens qui peuvent s’ensuivre. Une polysémie, ou l’opacité d’une fermeture à laquelle il faut trouver une issue. Mais je ne réussis pas toujours mes toiles, je trouve qu’il y a où il manque quelque chose, qui sont inachevées. Cet inachèvement me fait réfléchir. Je ne peux pas aller plus loin. Je laisse comme ça. J’attends devant une sensation de vide. Je dirai un vide réparateur qui me permet d’élaborer les choses autrement. Cela peut se retrouver ailleurs.

  IN : Il se dégage dans le choix de tes couleurs une dominante de dégradé de bleu et de vert qui donne l’impression de douceur et de mélancolie qui contraste avec d’autres tableaux où des gris, noir et rouge évoquent une certaine angoisse, de la révolte, que peux tu en dire ?

 Oui, tu as bien raison de dire ça. Je m’en suis aperçu, après. J’ai commencé à peindre pour lutter contre la déprime, pour ne pas dire une dépression qui guettait. Oui il y avait de la colère, c’était plein de remous au départ. Le plaisir s’en est mêlé plus tard. Peut être était ce un processus inconscient menant ces angoisses périodiques vers une certaine forme de sublimation. Mais qui en a fini avec ses manques, ses fatigues ou les pertes essentielles de sa vie. Oui la colère peut libérer quand elle est canalisée dans un travail de construction ou de création. Oui, qu’est ce que la peinture sinon des morceaux de vie qui nous parlent en silence, des scènes, des personnages, des ombres qui nous habitent, quelque chose d’autre du mystère, de la mort, ce qui nous quitte ou que nous laissons s’en aller malgré nous… tu peux me le dire ?

IN : Tu n’a pas répondu à ma question sur les couleurs dominantes de ta palette, ces bleus, ces verts, ce noir et ces dégradés de gris qui disent peut être de la mélancolie, un état d’âme ?

Je me suis posé ce genre de question, je cherche encore. Je peux seulement te dire que parfois en balade, dans un bus des bouts de couleurs apparaissent dans ma tête, d’autre fois je les vois dans des reflets de vitres, des taches sur des murs, dans un rayon de lumière qui flotte dans l’eau ou entre des arbres. J ai même rêvé en dormant de peinture en essayant de retrouver le matin les couleurs. C’est difficile. Et quand ça arrive c’est du pur plaisir. Quant à celles que tu cites, je peux te dire que le noir je l’utilise parcimonieusement, je le trouve autoritaire, parfois élégant quand il est tempéré par du bleu. Ce n’est pas la couleur du deuil pour moi. C’est plutôt le blanc. Par contre je me régale avec les verts. C’est une dégustation. Une recherche. Le vert, c’est toujours vers une direction. Et quand il s’ouvre vers des bleus et des gris, il fait reculer l’opacité de certaines choses par ses tonalités. Il déplie des rideaux, des tentures, qu’on a tendues soi même, comme quand on ouvre une fenêtre vers ce qui fait chemin, montre un passage, une issue.

 IN : Tu travailles souvent sur des petits et moyens formats, pourquoi ce choix ?

Il y a beaucoup à dire la dessus, mais je vais être bref. C’est une question de place, une restriction de l’espace où je travaille. Je suis très attiré par les grands formats. C’est une question de geste, d’énergie du corps déployé par la main et le bras dans un autre mouvement que celui impliqué dans les petites toiles. Celles ci demandent de la délicatesse qui n’est pas dénuée de profondeur. Et puis un format c’est comme au cinéma c’est un cadre, avec sa focalisation. Il faut voir ce qu’il y a dans le champs et ce qui est suggéré dans le hors champs.

 IN : Il y a peu de portrait et de personnages dans ta peinture, par contre tu peins beaucoup de paysages avec des thèmes assez durs ? Et on sent un changement dans ta technique ?

C’est vrai, je peins plus de paysages que de portraits, mais il y a des personnages dans mes paysages, par exemple dans la plupart des toiles consacrées au pays : A l’est d’Alger, Bab El Oued, Mardi Noir, La prière, Là où c’est, bénédiction, Traversée etc. Et celles-ci sont peut être dures comme tu dis, car elles renvoient à des évènements dramatiques. Quant aux portraits, je crois qu’un paysage cela peut être aussi quelque part ce qui porte les traits de l’intérieur, ce qui vient du dedans. Un visage c’est aussi un paysage, mais c’est très difficile pour moi pour le moment. Je ne suis qu’un débutant comparé à ceux qui travaillent depuis de très longues années. Aujourd’hui je m’intéresse aux paysages qui me font rêver.

Tu me demandes de te parler de « ma  technique », ce n’est pas la mienne, c’est celle de tout le monde, une part de savoirs constitués qu’on peut apprendre et éprouver en l’expérimentant. En peu de mots je peux dire que j’ai commencé par peindre à l’acrylique, parce que ça sèche vite et par aplat. Cela répondait à mon impatience du début. Ensuite je me suis mis à l’huile, que j’aime beaucoup. Avec des glacis, par petites touches. J’ai mélangé ensuite les deux médiums dans d’autres toiles. J’ai ajouté parfois des pastels gras ou secs, des collages, selon l’effet recherché ou des pigments purs. Je me suis intéressé au travail avec des empâtements, l’utilisation de matières venant de la terre, des résidus non organiques, ce qui reste, ce résidu comme la cendre pour le transformer à son tour par des mélanges. Comment je travaille ? Et bien, par associations de couleurs, comme les associations d’idées, d’addition , de surimpression, de fusion, de recherche de contraste parfois, de tonalités fluctuantes, où peut apparaître un peu de lumière, plus facile à dire qu’à faire…. parce que la technique, ce n’est pas seulement savoir manier des brosses, des couteaux et des matériaux, selon certaines règles et les appliquer mécaniquement sur la toile, non, c’est aussi le doute, le hasard, les incertitudes, et les audaces à son niveau. Oser briser la rigidité d’une ligne qui façonne un socle pour faire sortir autre chose, ou mettre une couleur dite sale, un raté à côté d’une plus nette, plus propre, plus reconnue, c’est pas si simple que ça ! Car technique et création sont profondément liées.

 IN : La communication est aujourd’hui omniprésente dans la société, alors quelle possibilité t’offre la peinture que ne t’apporte pas l’écriture audiovisuelle ?

 Je crois que j’ai répondu à cette question. Je ne me sens plus dépendant du bon vouloir de « burentiers » ou de bureaucrates, mesquins, insipides, et indécis d’ici ou d’ailleurs comme autrefois.

IN : Y a-t-il un message à saisir et lequel ?

 D’emblée, je suis tenté de te dire que je n’ai pas de message dans mon travail en peinture. Pour moi c’est subjectif la création. On peut reconnaître dans certaines toiles des images de souffrance, et là chacun est capable de construire son propre message si le veut. Par contre dans mes films, il y a différents types de témoignages qui renvoient à des situations historiques au pays, des problèmes socio-économiques concrets et autres… Cependant un artiste est toujours inscrit dans sa société et, en ce qui me concerne (sauf si c’est à mon insu dans ma peinture), en tant qu’individu, je pense qu’il faut résister et continuer à se battre contre la noirceur et les injustices de ce monde.

IN : Visa, Mardi Noir, A l’Est d’Alger, Bâb El Oued, Ce que Disent les Dunes, autant de toiles qui m’amènent à évoquer l’état d’exil, en quoi a-t-il influé sur ton travail ?

 Je peux juste dire à ce propos que l’état d’exil est une situation complexe, entre exil volontaire pour des raisons économiques, pour une meilleure vie et l’exil obligé pour ne pas perdre la sienne dans le Bled où tu te trouves sous la menace de loups féroces et de barbares sanguinaires, y a pas photos comme disent les jeunes aujourd’hui. Il y a un sacré traumatisme, qu’on le dise ou pas ! Ceux qui n’ont pas vécus cela ne peuvent pas savoir. Ils peuvent se l’imaginer et compatir. Mais c’est grâce à des soutiens de solidarité ici en France, à différents niveaux, que certains d’entre nous ont pu pallier relativement à cela. En ce qui me concerne aujourd’hui la peinture m’aide à soutenir cette traversée, cette rupture, revisiter le parcours, situer les traces, les déchirures, fabriquer du symbolique.

IN : Y a –t-il une école particulière ou des peintre qui t’ont inspiré ?

Sûrement. Je peux te dire des peintres dont j’ai aimé les oeuvres. Mais je ne peux pas tous te les citer. Au pays, Issiakhem, Khada, Atlan, Samson, Belanteur, Martinez etc. Mais ici, la peinture occidentale est immense, depuis la Renaissance, quelle magnifique et formidable histoire ! Je découvre un monde d’une richesse stupéfiante. J’en suis ébahi. Comme lorsque jeune homme j’ai découvert l’histoire du cinéma, de la littérature et celle de la poésie arabe. Mais j’aime beaucoup les impressionnistes, la peinture moderne….

 IN : Je suppose que tu as des projets en ce domaine ?

Continuer à peindre, je ne fais que débuter, poursuivre ce chemin, transmettre, partager cela avec les autres quand c’est possible, aller voir des expo… C’est déjà pas mal, n’est ce pas 

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